CHAPITRE XI
Jacen Solo bouillait d’impatience. Luke Skywalker et lui étaient entrés dans le système solaire et R2-D2 avait calculé un cap vers Belkadan, s’arrangeant pour que le vaisseau semble être une épave attirée par la gravité de la planète, les moteurs et la plupart des sources d’alimentation coupés.
Jacen était seul sur la passerelle. Il regardait les étoiles défiler sur l’écran tandis que Belkadan se rapprochait. D’après le rapport de Luke et Mara sur leur visite précédente, le jeune homme s’attendait à trouver une boule vert-jaune à l’atmosphère composée de gaz carbonique et de méthane. Mais les relevés indiquaient que l’atmosphère était pratiquement revenue à la normale, avec un taux de gaz carbonique plus élevé. Cela rendait la planète plus « tropicale » qu’elle aurait dû l’être, sans que le climat soit torride.
D’après oncle Luke. Mais il a grandi sur Tatooine !
Jacen savait ce qui était arrivé à Belkadan. Les Yuuzhan Vong y avaient lâché un agent biologique qui avait modifié radicalement l’écologie. Ils avaient aussi prévu un moyen de ramener les choses à la normale.
Jacen savait possible ce type de manipulation du climat. Mais la vitesse de transformation était hallucinante. Moins de deux mois s’étaient écoulés depuis que les Yuuzhan Vong avaient détruit ExGal-4, et tout était revenu à la normale.
Jacen ne percevait rien de mauvais quand il « touchait » Belkadan à travers la Force. La planète regorgeait de vie sans que rien de menaçant n’en émane.
Jacen avait vu les Yuuzhan Vong. Il avait écouté les récits de Danni sur les tortures que Miko et elle avaient subies. Les Yuuzhan Vong étaient l’incarnation du mal, il n’en doutait pas.
Et ce mal devrait irradier de la planète !
Que les Yuuzhan Vong ne soient pas repérables à travers la Force le perturbait. De par sa formation de Jedi, sa vision du monde se fondait sur les notions de bien et de mal… de lumière et d’obscurité. Il avait rencontré le mal. Le reconnaître faisait partie des mécanismes qui gouvernaient l’existence d’un Jedi. Et voilà qu’il partait à la dérive, sans aucune possibilité d’éviter un danger qu’il ne pouvait percevoir.
Jacen comprit aussitôt qu’il ne serait pas aussi impuissant qu’il le craignait. Mais l'invisibilité des Yuuzhan Vong était liée à une question plus importante : son oncle avait-il ou non trouvé la bonne voie pour le développement des Chevaliers Jedi ? L’enseignement de Luke reposait sur la différence entre le bien et le mal. A présent, une menace existait et les Jedi étaient en position d’infériorité. Tout ce qu’on leur avait appris ne leur servirait à rien face aux Yuuzhan Vong.
Il se demanda si sa propre approche – l’idée de s’isoler dans la contemplation solitaire de la Force – lui permettrait de reconnaître les Yuuzhan Vong et de les combattre. Il ne parvenait pas à croire que leurs adversaires n’appartenaient pas à la Force, supposant seulement qu’à son niveau de maîtrise, la présence des Yuuzhan Vong ne s’enregistrait pas. Certains animaux entendaient des sons imperceptibles pour lui. D’autres espèces voyaient des couleurs invisibles pour l’œil humain.
Pourrait-on détecter la présence des Yuuzhan Vong si on travaille sur le niveau de conscience de la Force ?
S’il n’avait pas la réponse, il était persuadé que l’approche de son oncle n’aiderait pas à régler la question des Yuuzhan Vong. Les Jedi se battraient vaillamment et emporteraient sans doute quelques victoires. Mara avait réussi à tuer un guerrier yuuzhan vong, sur Belkadan. Mais elle avait reconnu qu’être incapable de le percevoir à travers la Force l’avait désavantagée.
Quant à son envie de retraite, Jacen se sentait coupable lorsqu’il y pensait. Il se souvenait des descriptions de Danni sur ce que les brutes lui avaient infligé, et se remémora aussi tout ce que ses parents avaient fait pour aider les autres.
Il avait été élevé dans une famille où prendre la responsabilité du bien-être d’autrui faisait partie de la vie. Rejeter cette éthique ne lui paraissait pas une solution.
Mais il avait été témoin de ce que cette morale coûtait à ses parents et à son oncle. Luke avait combattu l’Empire pendant vingt ans, et sa sœur pendant plus longtemps. Ils mettaient leur vie dans la balance, sans s’accorder un moment de répit. Et ils n’avaient jamais de temps pour eux-mêmes.
Jacen fronça les sourcils, évitant le piège de l’auto-apitoiement. En dépit de leurs occupations, ses parents avaient toujours fait de leur mieux pour Jaina, Anakin et lui. Quand la politique forçait Leia à se séparer d’eux, elle s’arrangeait toujours pour leur offrir une compensation. Pas en leur rapportant des cadeaux exotiques, mais en leur consacrant du temps ensuite. Et leur père était passé du statut de protecteur à celui d’ami et de confident. Luke, lui, était à la fois un ami et un mentor.
Sa famille comptait plus aux yeux de Jacen qu’il ne pouvait l’exprimer…
Voilà pourquoi rejeter ses enseignements lui paraissait mauvais. Mais nécessaire. Ayant grandi avec la conscience de la Force, il la comprenait mieux que Luke. Il voyait les choses en détail, alors que les autres les appréhendaient de façon plus générale.
– Le moment est presque arrivé, n’est-ce pas ?
Jacen sursauta en entendant la voix de son oncle.
– Oui. Nous sommes attirés par la gravité de Belkadan. Il nous reste deux minutes avant d’entrer dans l’atmosphère. Je peux poser le vaisseau, si tu veux.
Luke acquiesça. Puis il se glissa sur le siège du copilote. R2-D2 s’arrima au support d’atterrissage fixé sur la cloison.
– Souviens-toi que nous voulons avoir l’air aussi naturels que possible.
Jacen hocha la tête. Son oncle avait une théorie. Les Yuuzhan Vong utilisant des créatures vivantes au lieu de machines, ils repéraient sans doute ces dernières à leur « comportement rationnel ». Poser le vaisseau comme s’il était un débris dérivant attirerait moins leur attention.
Enfin, d’un point de vue humain.
J’espère que les Yuuzhan Vong le partageront…
Jacen posa les mains sur les commandes et relança les moteurs. Puis il laissa la poussée sur zéro, mais envoya un peu de puissance au répulseur. Ensuite, il mania délicatement le manche à balai pour faire entrer les navires dans l’atmosphère.
Jacen jeta un coup d’œil à son oncle pour voir si sa manière de diriger le vaisseau lui convenait.
Luke lui fit un petit signe d’encouragement, puis regarda le moniteur où défilaient les données de navigation.
– Nous sommes à dix mille kilomètres du site d’ExGal. Direction 33 point 30.
– Parfait. Je voulais dépasser les montagnes avant de tourner à bâbord.
– Bonne idée. (Luke ferma un instant les yeux.) Rien d’anormal pour le moment.
– Merci.
Jacen inversa la poussée puis ouvrit légèrement les gaz. Le Skipray descendit à une vitesse suggérant qu’il était une météorite plutôt qu’un vaisseau opérationnel.
Quand il fut au-dessous des pics de la chaîne de montagnes, Jacen coupa la poussée principale. Etendant sa perception de la Force, il examina les formes de vie de la planète.
Elles étaient nombreuses, la plupart semblant normales pour Belkadan. Mais quelques-unes le troublèrent et il s’en éloigna rapidement.
Il pilota le vaisseau jusqu’au site d’ExGal et le posa au nord, à bonne distance de la tour de communication et de ses antennes. Puis il coupa les moteurs et défit son harnais.
– Nous sommes arrivés.
Luke ouvrit les yeux.
– As-tu senti quelque chose ?
– J’ai perçu une chose qui ne me semblait pas adéquate. De quoi s’agit-il ?
– Je l’ignore. Des formes de vie pensantes, stressées et peut-être malades. Elles paraissent épuisées. Et je ne les ai pas détectées il y a quelques semaines.
– La même maladie que Mara ?
Luke sursauta.
– Non ! Mais Mara est forte… S’il s’agit de la même maladie, ces êtres sont peut-être en phase terminale. Nous n’avons aucun moyen de le déterminer…
Jacen sortit du cockpit, prenant au passage une ceinture où étaient accrochés son sabre laser, un respirateur, une gourde d’eau et un blaster. Son oncle le rejoignit, prit une ceinture similaire et tendit une paire de lunettes à Jacen.
– A quoi nous serviront-elles ?
– Souviens-toi de la description que Mara nous a faite de son combat contre Carr. Comme nous ne pouvons pas les percevoir à travers la Force, la vue sera notre principale alliée. Nous ne pouvons pas nous permettre de la mettre en danger. Mara a dit que leurs armures arrêtent les coups de blaster et ralentissent les sabres laser. Vise bien, et manie ta lame encore mieux !
Jacen sourit.
– Un moment, j’ai cru entendre parler papa.
R2-D2 bipa un commentaire.
Luke inclina la tête.
– Quand je suis dans une situation où mes chances de succès sont infimes, je pense à ce que ton père ferait ou dirait. Je ne l’imite pas forcément, mais son exemple est difficile à oublier.
Luke enfonça un bouton sur la cloison. La rampe de débarquement du Skipray s’ouvrit. Luke descendit et s’accroupit en bas de la rampe. Il posa ses mains sur le sol, fit rouler un peu de poussière entre ses doigts et la renifla.
– Qu’y a-t-il ?
– La dernière fois que je suis venu, il y avait beaucoup de soufre dans l’air. Mais je n’en sens presque plus. Quelque chose a purifié l’air.
Il montra une sorte de lierre grimpant qui avait poussé sur les murs de l’installation.
– Ces plantes n’étaient pas là non plus. Ce sont peut-être elles qui ont nettoyé l’air.
Jacen haussa les épaules.
– C’est toi qui as été élevé dans une ferme…
– Sur une planète déserte… Ce type de plantes était-il signalé dans les fichiers que tu as consultés ?
– Rien dont je me souvienne.
Luke se leva et partit en direction du portail de la base ExGal. Il était ouvert, mais lui aussi envahi par les plantes. Luke baissa la tête pour entrer, Jacen sur les talons. R2-D2 fermait la marche.
Le petit droïd se balança, gémissant lamentablement.
– Je sais, R2, dit Luke.
Les plantes avaient tout recouvert, excepté la zone ovale où se trouvait l’entrée de la base. Du matériel avait été placé dans le périmètre, à deux mètres de la porte.
Au centre se trouvait une unité R5 décapitée, un crâne humain à la place de la tête. Des câbles de toutes les couleurs sortaient des orbites vides et de la bouche. Autour du R5 gisaient des objets abîmés au point de ne plus être utilisables. Des consoles d’ordinateurs, des plaques d’holo-projection, des synthétiseurs de nourriture et même un sèche-cheveux…
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Jacen.
– De toute évidence, un avertissement. Mais je me demande à qui il est destiné…
– A celui ou à ceux que tu as sentis dehors ?
– Je suppose. Cela dit, nous ne sommes pas venus ici pour deviner, mais pour trouver des réponses. Ce sera difficile. Mais pas impossible, j’espère. Sinon nous risquons de finir comme ce pauvre droïd…